26 octobre 2010

David Vincentesque

Je me doute bien que vous avez déjà été victimes d'affligeants témoignages d'illuminés prétendant avoir été enlevés par des extraterrestres. Triste époque que celle-ci où pour avoir l'oreille d'un média, aussi "poubelle" soit-il, de pauvres gens sont prêts à inventer n'importe quelle fable, aussi peu crédible soit-elle.
Cependant, il se trouve que moi qui écris ici et suis peu suspect d'être avide de mon quart d'heure de gloire, j'ai réellement vécu une expérience traumatisante d'enlèvement par des êtres venus d'ailleurs. Allez, je vous la narre ? 

C'était en hiver. Un samedi. Sais plus la date, mais on s'en fout. Après une soirée arrosée organisée par l'amicale des collectionneurs de taille-crayons du Cher, je décidai de rentrer à pieds à mon hôtel pour rédiger le croustillant article que j'étais venu glaner, ça me ferait visiter Bourges où j'ignorais qu'il y eût des hivers, des étés ou même des automnes. C'était très joli, mais le brouillard qui m'empêchait de voir à plus d'un mètre ne me permet pas de dire si c'était plus, moins ou tout aussi joli que Nemours (que je ne connais pas du tout, en quelle que saison que ce soit).
J'étais de plus victime d'un roulis prononcé que je n'aurais point imaginé rencontrer aussi loin de la mer. Je suppose qu'on peut attribuer ce phénomène à l'eau-de-vie locale à laquelle je n'étais pas habitué et dont il m'avait pourtant fallu avaler pas mal de verres pour rester dans les petits papiers des Molubdotémophiles locaux.

Bref, tout à ma contemplation de ce magnifique mur de brouillard bérurier, je heurtai un quidam qui venait dans l'autre sens et devait accuser un roulis strictement identique au mien, sinon comment expliquer qu'il n'ait pas pu m'éviter ? Le quidam était flanqué de deux clones, et tous trois portaient une sombre armure sur laquelle figuraient les armoiries "Police Nationale".

- "Aie !" leur dis-je, car moi j'avais oublié mon armure et celle de mon obstacle était fort dure.

- "20% Carbone, 80% Kevlar" ricana l'obstacle. "T'as tes papiers ?"

-"Ben non" répondis-je, tout à ma douleur. En effet, aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais eu de papiers, et ce bien avant que survienne la mode des "sans papiers" ou que Manu Chao n'écrive Clandestino.
De la suite immédiate des évènements, je me rappelle juste les avoir vus tous les trois dégainer leurs Tazers avec une vivacité qui prouvait qu'ils avaient dû s'entrainer en regardant Matrix et puis j'ai ressenti une décharge sans commune mesure avec celle reçue à l'âge de 10 ans, lorsque j'étais rentré dans un transformateur EDF pour échapper à la police municipale de Lamballe (Côtes-du-Nord) qui déjà me demandait mes papiers.

Je revins à moi dans ce que je ne puis qualifier que de cave immonde, menotté à un radiateur qui depuis longtemps avait rendu l'âme. L'autre occupant de la pièce, car il y en avait un, était un policier dépourvu d'armure, jugeant sans doute que puisqu'on était dans ses locaux, il se trouvait dans une sécurité relative, sentiment renforcé par l'usage du vieux couple menottes-radiateur à l'égard de tout étranger au ministère de l'intérieur.

-"T'as tes papiers ?" éructa-t-il lorsqu'il se fut rendu compte de mon état de conscience tout relatif. Question de pure forme, car je ne portais plus sur moi que le caleçon en laine que ma grand-mère m'avait contraint à enfiler lorsqu'elle avait appris que j'allais du côté de Bourges en plein hiver. Endroit pour le moins incongru et inapproprié où ranger des papiers.

-"Estimé représentant des forces de l'ordre, je me vois au regret de devoir répondre par la négative à votre question. Cependant, il se trouve que je suis déjà fiché dans votre établissement au nom de Ravachol de Notre Dame pour avoir, alors que je n'étais âgé que de 12 ans, détruit l'intégralité des vitraux de l'église St Sauveur de Crafouy-les-Bruyères. J'imagine que conservatrice comme elle est, votre administration aura gardé quelque trace de la fiche anthropométrique qui fut réalisée alors..."

-"Bon, on reprend tout à zéro. T'as pas tes papiers, t'as pas l'air d'un négro, même bien déguisé, t'as pas l'air d'un bougnoule, donc, si j'en crois le manuel, t'es un rom. Donc tu rentres chez toi parce que ici les caravanes c'est que pour Claude Brasseur dans les films de beaufs et les guitares on les tolères que quand c'est Lalanne qu'en a une, à condition qu'il en joue pas. Toi compris ? Deuxième question : est-ce que tu veux porter atteinte à mon intégrité physique ou à celle d'un pompier ou à celle d'un douanier ? Faut me le dire parce que dans l'hypothèse où je finirais par découvrir que t'as la nationalité française, et dans l'autre hypothèse où t'aurais l'intention de commettre un des actes mentionnés dans ma question que je vais pas répéter, tu serais déchu de la nationalité et expulsé aussi vers romland, sauf qu'avant il faut que tu purges une peine de prison, rapport à l'acte immonde que t'as peut-être l'intention de commettre..."

-"Je suis journaliste" fut la seule défense qui me vint à l'esprit.

- Tu travailles à la télé ? A TF1 ? Tu connais David Poujadiste ? Tu me signes un autographe ?

- Ouais, ben je voudrais bien qu'on me rende mes vêtements, si ça ne vous fait rien... Pour le reste, je vais voir ce que je peux faire, je promets rien, vous savez ce que c'est, on est occupés à la télé, ça prend du temps d'apprendre par coeur les communiqués que nous envoie votre patron....

- Bien sûr, tenez voilà vos habits monsieur, et mille excuses... Oh la tronche des copains quand ils vont savoir que j'ai rencontré une vedette et que j'ai même failli l'expulser... Mais faut comprendre, avec ce putain de brouillard, la nuit, tout le monde ressemble à tout le monde alors après...

Voilà. Je vous l'avais dit que j'avais été enlevé par des êtres venus d'ailleurs. J'aurais au moins appris un truc, c'est que si quelqu'un respecte encore notre constitution dans ce pays, c'est probablement le brouillard...


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